Arrive un vagabond – Robert Goolrick

Arrive un vagabond – Robert Goolrick
(Heading Out to Wonderful, 2012)
Editions Anne Carrière, 2012, 320 pages
Traduction de Marie de Prémonville
(existe au format poche*)


« Tout souvenir est une fiction, gardez bien ça à l’esprit. »


Un livre qui a en exergue l’extrait d’une chanson de Bruce Springsteen ne peut être mauvais, surtout s’il a été écrit par Robert Goolrick. Ce furent mes premières impressions. Je ne savais pas alors jusqu’où ce livre me conduirait.

Nous sommes en 1948 quand Charlie Beale arrive à Brownsburg, Virginie. Hormis sa voiture, il ne possède que deux valises. L’une contient un set de couteaux de boucher, l’autre de l’argent. Autant vous dire de suite que si vous souhaitez lire ce livre pour en savoir plus sur ces deux éléments, vous perdrez votre temps. En effet, l’intérêt de cette histoire réside ailleurs. Charlie gardera son mystère jusqu’au bout et c’est très bien ainsi. Tout ce dont on peut être sûr à la lecture de ce livre, c’est que cet homme est fondamentalement bon.

Charlie cherche un lieu où s’installer et c’est donc Brownsburg qu’il choisit, une ville paisible, typique de son époque, mais située dans une région conservatrice (les Noirs n’ont aucun statut, ne pas aller à l’église est la meilleure façon de se faire remarquer et il est bien connu que Dieu n’hésitera pas à vous expédier en enfer si vous sortez du droit chemin : n’importe quel pasteur se fera un plaisir de vous le rappeler chaque dimanche).
Les habitants du lieu sont des Américains tout ce qu’il y a de plus banal, hormis deux personnes : Boaty Glass, aussi riche que détesté ; pour lui, tout s’achète, y compris une femme, en l’occurrence Sylvan, une jeune fille issue d’un milieu pauvre mais à la personnalité peu commune et que le reste de la communauté méprise.
Et c’est là que le drame couve car, évidemment, drame il va y avoir. Cependant, même si Goolrick balade le lecteur pendant tout le livre au gré de retournements de situations, ce n’est pas là non plus que réside l’intérêt de ce livre.

En effet, ce roman dégage une force et une profondeur qui dépassent de loin la simple narration d’une tragédie.
On prend beaucoup de plaisir à des scènes qui semblent banales mais qui ont, en réalité, un relief particulier du fait du regard de l’auteur. Pour avoir lu Féroces, ses mémoires, je savais de quoi Goolrick était capable ; je connaissais aussi son histoire et sa façon de percevoir le monde. Nous retrouvons tout cela dans ce roman.

« L’enfance est l’endroit le plus dangereux qui soit. »

Ce qui fait la beauté de ce livre, c’est la personnalité de Charlie. Cet homme qui ne demande rien d’autre que d’être tranquille fera des efforts pour intégrer la communauté. Cependant, Charlie ne souhaite pas pour autant renoncer à ce qu’il est, à ses convictions, à ses rêves. Il n’y a qu’auprès de Sylvan qu’il se sent vivre, mais aussi avec le petit Sam Haislett, le fils de son patron qui vénère son Beebo, le nom qu’il a donné à Charlie dès leur première rencontre. L’amitié entre Sam et Charlie rend ce récit particulièrement poignant.
Charlie est un homme qui ne vit pas pour lui, qui donnerait sa vie pour une femme dont il est amoureux, pour un petit garçon qui lui rappelle combien nous avons tous besoin de rêves et d’innocence.
Ces trois personnages, ainsi qu’un personnage secondaire que je vous laisse découvrir, donnent une telle intensité à l’histoire que, bien après avoir tourné la dernière page, on continue à croire qu’ils ont réellement existé. Jamais je n’oublierai Charlie Beale : j’en ai fait la promesse à Sam Haislett ...

Robert Goolrick a été touché par la grâce et il a la bonté de nous faire partager son don à travers ses livres. Ne passez pas à côté de celui-ci.


« C’est le récit de ce monde, l’album de votre petite vie et, lorsque vous ne serez plus que poussière et ténèbres dans la tombe, il racontera votre histoire. »


Ce livre m'a été transmis par l'éditeur.

(*) Certains exemplaires du format poche proposent une préface de l'auteur très intéressante que je conseillerais, toutefois, de lire après le roman. Sans en dévoiler l'histoire, elle vient néanmoins renforcer certaines idées que l'on peut se faire à la lecture du roman. Il me semble qu'il est plus enrichissant de la lire comme une postface ou une annexe et c'est aussi un beau cadeau pour le lecteur.