Les lois de la frontière – Javier Cercas

Les lois de la frontière - Javier Cercas
(Las leyes de la frontera, 2012)
Actes Sud, 2014, 352 pages
Traduction d'Aleksandar Grujicic et d'Elisabeth Beyer

Durant l’été 1978, à Gérone, Ignacio Cañas, un adolescent banal va rejoindre un groupe de petites frappes mené par Zarco et où il côtoie l’attirante Tere. Les membres de la bande sont issus de milieux défavorisés et vivent en marge de la ville (et de la société), alors que Cañas mène une vie certes sans faste mais classique, de l’autre côté de la « frontière ». Pendant quelques mois, il va goûter au frisson du danger alors que l’Espagne est en pleine transition démocratique et se cherche encore, quelques années après le décès de Franco.
Vingt ans plus tard, Cañas, devenu avocat, est amené à défendre Zarco. Ce dernier est désormais un délinquant notoire qui a même pris une dimension mythique.

« Il est … naturel que Zarco se soit transformé en un hors-la-loi héroïque qui, pour les journalistes et même pour certains historiens, incarne la soif de liberté et les espoirs déçus des années héroïques du passage de la dictature à la démocratie en Espagne. » (p. 319)

Le point de fort de ce livre vient de sa construction. En effet, dans la seconde partie l’auteur a choisi le mode de l’enquête sous forme de dialogues menés par un écrivain chargé d’écrire un livre sur Zarco. Pour cela, il discute principalement avec Cañas mais aussi avec d’autres protagonistes plus « lointains » (ils n’ont jamais côtoyé Zarco à double-titre). Ainsi, la progression de l’intrigue se fait par le biais de ces échanges où chacun, l’avocat en premier lieu, doit creuser plus dans ce qu’il est, dans l’idée qu’il se fait de lui et de Zarco, dans la représentation de la société que dans ses souvenirs. Plus les questionnements s’accumulent, plus la complexité et la subtilité de la réflexion se révèlent.
Les personnages sont crédibles, notamment du fait de leurs ambiguïtés, de leurs failles. L’exploration que réalise Cercas dans une volonté de distinguer la personne du personnage est particulièrement convaincante. De même, l’étude des relations entre Cañas (en tant qu’homme, pas en tant que professionnel du droit) et Zarco et leurs parcours respectifs sont un des piliers de ce roman.

En revanche, il m’a semblé que l’histoire prenait parfois trop le pas sur les thèmes que l’auteur s’engageait à explorer. On reste sur sa faim notamment en ce qui concerne les questions relatives à la justice /vs/ la morale et surtout la place de l’avocat pénaliste. Cercas évoque évidemment la porosité inhérente à cette profession mais, comme pour d’autres points, il l’introduit puis l’abandonne plus ou moins au lecteur. La technique a le mérite d’obliger ce dernier à s’investir mais une incursion plus marquée de l’écrivain aurait instauré à travers le roman un dialogue bienvenu.
Quelques banalités m’ont également étonnée de la part de cet auteur. Elles sont rares mais sautent d’autant plus aux yeux.


En dépit d’aspects qui m’ont paru maladroits ou légèrement décevants, ce livre est une réussite parce qu’il nous laisse avec plus de questions que de réponses. Les personnages ne sont pas les seuls malmenés : le lecteur doit lui aussi s’adapter à cette quête où la vérité s’échappe sans cesse, si tant est qu’il y en ait une.

Ce livre m'a été transmis par l'éditeur via Libfly.