Poésie du gérondif - Jean-Pierre Minaudier

Poésie du gérondif – Jean-Pierre Minaudier
Le Tripode, 2014, 160 pages


Vagabondages linguistiques d’un passionné de peuples et de mots


Ce livre parle de grammaire et il est passionnant. Ce qui pourrait sembler paradoxal ne l’est pas du tout sous la plume espiègle de Jean-Pierre Minaudier, un lecteur comme les autres qui, à la quarantaine, a traversé une crise : il n’a plus lu que des grammaires pendant cinq ans. Il possède une des plus grandes bibliothèques personnelles de grammaires. Plus la langue est exotique (grammaticalement parlant), mieux c’est et ce livre va vous faire voyager à la rencontre de peuples et de langues.

« Ouvrir une nouvelle grammaire, c’est exactement la même chose qu’aborder l’œuvre d’un poète inconnu, avec son usage particulier de la langue, sa « musique » personnelle, ses thèmes de prédilection, ses métaphores et ses associations favorites, ses fulgurances et ses pannes d’inspiration. »


Ce livre est un régal de la première à la dernière page grâce à l'humour malicieux de son auteur mais aussi de son fond intéressant et traité avec sérieux, le sérieux du passionné. Et c’est certainement ce qui fait totalement adhérer à ce livre : Jean-Pierre Minaudier sait évoquer les grammaires les plus diverses et les plus démentes avec un enthousiasme communicatif.
Ses notes de bas de page qui peuvent prendre une demi-page, l’auteur estimant qu’il s’agit d’un genre littéraire, sont des bijoux où, encore une fois se mêlent l’humour et des précisions tout à fait intéressantes.


« si on aborde [la grammaire] comme une ouverture sur le monde… [elle] devient invitation à la rêverie et à la rencontre de l’autre, elle ouvre des portes sur l’inépuisable variété de l’esprit humain. » Et c’est là qu’il faut revenir au sous-titre qui évoque les peuples : étudier une grammaire n’est pas uniquement un exercice intellectuel mais une rencontre et une volonté de compréhension d’autres visions du monde.

Les adorateurs de Noam Chomsky risquent de ne pas adhérer aux propos de Jean-Pierre Minaudier : « … une langue n’est ni une vaste équation mathématique, ni le produit mécanique d’un instinct naturel commun à toute l’humanité, mais un phénomène essentiellement culturel, un réservoir inépuisable et jamais identique d’associations logiques ou illogiques, […] de métaphores, d’images […] bref, de sentiers divergents qui […] guident celui qui parle et celui qui l’écoute vers des panoramas infiniment divers. »
Minaudier nous le démontre régulièrement car l’étude d’une grammaire déborde du cadre strict de la formation de la langue et finit toujours par souligner des aspects culturels fort intéressants, invitant le lecteur à oublier un instant son ethnocentrisme.


Même si le livre se rapporte avant tout à la grammaire, il évoque plus largement la linguistique et les linguistes, les familles de langues et les isolats, etc. 
L’auteur est régulièrement amené à comparer les langues entre elles. C’est ainsi que l'on prend conscience que de par leurs diversités, les langues vont à l’encontre de l’idée même de traduction. Parce que la langue est liée au peuple, à la civilisation, sa structure est personnelle et tout ce que véhicule une simple phrase ne peut pas toujours être traduit de façon satisfaisante ; il existera toujours des astuces pour contourner les difficultés mais rien ne viendra remplacer ce qui est impossible (par exemple, le verbe « être » n’existe pas dans certaines langues ou alors il n’y a pas de différence entre « être » et « avoir » alors qu’en grec ancien, Aristote avait classifié plusieurs formes du verbe « être »). L’auteur lui-même indique : « On voit par là que toute traduction parfaite est impossible, parce que traduire impose des changements structurels et qu’à changer de langue on change de vision du monde… »


Au-delà du sérieux du propos, l’auteur présente le sujet avec imagination et vous apprendrez que « la lecture d’une grammaire peut constituer un véritable roman policier », preuves à l'appui ! Certes, il faut être passionné mais Jean-Pierre Minaudier sait s’y prendre pour attraper le lecteur dans ses filets : vous voilà prévenus...