Joseph Anton – Salman Rushdie

Joseph Anton – Salman Rushdie
 Jonathan Cape, 2012, 633 pages
(même titre en français)


“Afterwards, when the world was exploding around him and the lethal blackbirds were massing on the climbing frame in the school playground, he felt annoyed with himself for forgetting the name of the BBC reporter, a woman, who had told him that his old life was over and a new, darker existence was about to begin.”


L’année 1989 fut riche en bouleversements de toutes sortes, parmi lesquels la fatwa lancée contre Rushdie par Khomenei un 14 février. Notons au passage que la fatwa ne concernait pas uniquement Rushdie mais toute personne engagée dans le processus visant à la promotion du roman Les versets sataniques (donc le personnel des éditeurs, des libraires, les distributeurs et les traducteurs).

Ce qui est notamment intéressant dans ce livre, c'est son inscription dans un contexte politique et dans une époque dont nous vivons encore les répercussions.
On prend conscience que c’est à ce moment-là qu’est né le terrorisme d’État islamiste qui continue à faire des ravages. La fatwa n’était pas le fait d’un groupe d’extrémistes indépendants mais bien une annonce officielle émise par un État et cela aura des répercussions dans l’affaire Rushdie sur un plan diplomatique. En effet, les divers États dits « démocratiques » et la Grande-Bretagne en premier lieu (patrie d’adoption de l’écrivain bien qu’il vive désormais aux Etats-Unis) ont traîné des pieds pour défendre la liberté d’expression au risque de voir leurs relations diplomatiques avec l’Iran se détériorer. Il a d’ailleurs souvent été reproché à Rushdie de « l’avoir bien cherché » et de bénéficier d’une protection imméritée, non seulement à ce titre mais aussi parce qu’après tout il n’avait rien fait de grand pour son pays. Amis de la défense de la liberté d’expression : bonjour ! (à ce sujet, Rushdie inventa une expression, ‘The Daily Insult’, pour regrouper tous les médias britanniques – les pires – qui n’ont cessé de l’attaquer voire, pour certains, à soutenir l’initiative iranienne).
Mais si Rushdie n’aura pas été soutenu à fond par les États « démocratiques », il aura reçu le support d’une sorte d’internationale d’écrivains, certains qui étaient déjà des amis et d’autres qui le sont devenus. Il rendra régulièrement hommage à tous ceux, écrivains ou non, qui l’ont aidé au cours des années et relèvera combien la police s’est étonnée qu’aucune fuite n’ait eu lieu.

Le livre présente d'autres caractéristiques :
> Il est écrit à la troisième personne comme si Rushdie était devenu schizophrène et, s’il ne l’était pas au sens médical du terme, il le fut néanmoins un peu suite à la nécessité de se choisir un pseudonyme. Le fait que ce pseudonyme et que le nom de l’auteur soit écrit de la même taille sur la couverture n’est d’ailleurs pas un hasard. En outre, dans les interviews, Rushdie déclare ne pas se reconnaître dans ce qu’il fut et le procédé est aussi une façon de tenir à distance ce qu’il a vécu, ce qu’il a été. 
> Ce livre est également une autobiographie peu banale. Le texte relève tout autant des mémoires que du documentaire. Rushdie évoque évidemment sa vie durant la fatwa mais aussi sa vie personnelle ainsi que, plus passionnant, sa vie en tant qu’écrivain, l’écrivain « d’avant » (et l'on découvre la genèse de diverses intrigues) et celui de « pendant/après » (l’histoire concernant la publication de ‘Fury’ aux Etats-Unis est absolument renversante).
Comment se comporter dans une telle situation ? L’auteur optera pour différentes stratégies au fil des années, allant de plus en plus vers un rôle actif et réclamant sa liberté, défiant la peur et refusant, finalement, le rôle de victime.

C’est un compte rendu foisonnant et, si des passages ou des réflexions auraient pu être supprimés sans états d’âme, ce livre est un page-turner que je recommande chaudement. Peu importe que l'on soit ou pas d'accord à 100% avec les opinions de l'auteur et il est tout à fait possible d'apprécier cette lecture alors même que l'on trouve Rushdie insupportable.


“He walked out of the Halcyon Hotel on to Holland Park Avenue and stuck out an arm to hail a passing cab.”

P.S. : je tiens à souligner la qualité de la couverture conçue par les éditions Jonathan Cape. Elle est très souple et solide à la fois, agréable au toucher. En dépit de l’épaisseur du livre, le dos ne présente qu’une seule micro-cassure. Je conseille vivement aux personnes capables de le faire de lire ce livre en version originale (l’histoire étant essentiellement factuelle, aucune ornementation ni recherche stylistiques ne viennent élever le niveau de langage utilisé).