L’évangile selon Jésus-Christ – José Saramago

L évangile selon Jésus Christ José Saramago
L’évangile selon Jésus-Christ – José Saramago
(O Evangelho Segundo Jesus Cristo, 1991)
Points, 2000, 473 pages
Traduction de Geneviève Leibrich


Si vous êtes un fervent catholique, ce livre n’est peut-être/vraisemblablement pas pour vous ; il a été condamné par le Vatican et l’église catholique portugaise, sans compter les tracas qu’il valut à Saramago qui finit par aller s’installer aux Canaries en 1992 jusqu’à sa mort en 2010. Néanmoins, le Portugal se vante et se félicite de l’avoir comme représentant depuis que Saramago a obtenu le Prix Nobel en 1998. 

Ce livre est une pépite (à noter qu’un minimum de culture religieuse relative aux évangiles permet de mieux en profiter).
Saramago a écrit une biographie de Jésus sans le fatras religieux qui l’entoure, c’est-à-dire en décrivant Jésus comme un simple être humain, fils biologique de Joseph et Marie, un humain qui n’a rien demandé (et certainement pas d’être le fils désigné d’un dieu) si ce n’est de vivre en paix, ce qui ne lui sera pas accordé (tout le monde connaît la fin de l’histoire ; je ne révèle rien).
Saramago reprend les étapes de la vie de Jésus mais il les présente sous un jour humaniste et non religieux : Jésus, en tant qu’homme se souhaitant libre, et non fils d’un dieu désirant, par son entremise, établir sa domination.

Jésus est au centre d’une bataille entre dieu et le diable, deux êtres qui se ressemblent étrangement dans cette histoire, chacun ne souhaitant au fond qu’établir son pouvoir. On a le sentiment que les humains ne sont que des pions pour ces deux puissances : Jésus, c’est le peuple pris en otage par la politique, c’est le faible qui ne peut que perdre, en l’occurrence en mourant sur la croix. Saramago nous dit : ce n’est pas un sacrifice qu’il fait pour sauver les hommes, comme la version officielle voudrait le faire croire, mais le signe de son échec à résister aux projets que dieu nourrit à son égard.

Evidemment, ce livre est une poudrière mais c’est aussi une histoire extrêmement bien racontée et passionnante. Il fallait la verve de Saramago pour construire un récit aussi brillant où l’humour et l’acuité de la pensée se mêlent pour offrir au lecteur une réflexion à la fois accessible et merveilleusement bien construite.

Dans son discours de remise du Prix Nobel, Saramago retrace son parcours en expliquant ce qui l'a amené à écrire tel ou tel livre ; ses propos concernant ce roman sont particulièrement intéressants ; il dit notamment : « L’évangile de l'apprenti [c’est ainsi qu’il se nomme dans son discours] n'est donc pas une légende édifiante de bonne aventure et de dieux mais l'histoire d'êtres humains assujettis au pouvoir contre lequel ils luttent sans pouvoir le vaincre ». Il se défend d’avoir voulu déboulonner le nouveau testament mais plutôt d’avoir cherché à comprendre ces histoires, d’un point de vue pragmatique. Or les évangiles, pas plus que la bible, ne contiennent des récits réalistes ; Saramago a donc tenté (et avec quelle réussite !) de raconter la même chose mais en apportant des correctifs afin que, humainement parlant, l’histoire de Jésus fasse sens (il fera de même bien plus tard avec la bible dans son ultime roman, Caïn).

A tous les amateurs d’écrivains brillants dotés d’un humour dévastateur et irrévérencieux : n’hésitez pas, ce livre est pour vous !

S'il ne fallait lire qu'un Saramago, L'évangile selon Jésus-Christ est le livre incontournable. A noter que L’évangile selon Pilate d’Eric-Emmanuel Schmitt serait inspiré de l’œuvre de Saramago (je n’ai pas lu le Schmitt et ne compte pas le faire).