Une saison de coton – James Agee
Photographies de
Walker Evans
(Cotton
Tenants: Three Families, 2013)
Christian Bourgois,
2014, 224 pages
Traduction de Hélène
Borraz
Titre intégral :
Une saison de coton, trois familles de métayers.
En 1936, missionné par le magazine Fortune,
James Agee se rend en Alabama pour effectuer un reportage sur le métayage du
coton.
Agee décrit par le menu les conditions de vie de ces personnes, expliquant
la nature du contrat qui les lient aux propriétaires des terres qu’ils
cultivent, décrivant leurs habitats, leur nourriture, vêtements, leurs
conditions de travail, etc.
Ce qui
m’aura le plus maquée dans ce livre, c’est sa préface. Non que le texte d’Agee soit mauvais, bien au contraire.
Mais la préface d’Adam Haslett souligne combien ce texte est actuel. Même si, a priori, le livre
d’Agee ne vous intéresse pas, lisez cette préface dont je rejoins l’analyse.
Haslett conclue : « … nous ne
pourrons changer les règles que si nous les comprenons. ». Or Agee montre
bien les vies piégées de ces métayers, dépassés (et pour une poignée, en ayant
conscience) par un système dont ils ne peuvent sortir car tout est fait pour
les y maintenir, un système mêlant féodalisme et capitalisme.
Cela
commence par le contrat qui créé d’office une situation d’endettement que les
métayers n’ont aucune chance de dépasser. Agee en profite pour nous présenter
les membres de chaque famille : les corps et les esprits sont marqués par
la dureté (et le terme est faible) de leurs vies. Aucune famille n’a accès à
l’aide sociale débordée et les adultes ne peuvent prétendre à des
« emplois aidés » car ceux-ci ne sont fournis qu’aux personnes
totalement sans emploi. Or ils sont au chômage une partie de l’année et ne
trouvent pas toujours à se faire embaucher à ce moment-là.
Agee
compare les trois familles : les Burroughs sont les plus jeunes et ils
s’acharnent à maintenir le peu d’emprise qu’ils ont sur la vie ; les
Fields, plus âgés, s’en sortent sans enthousiasme ; en revanche, les
Tingle ont abandonné la partie. De ces derniers, Agee dit : « La pauvreté est la cause de leur
indifférence ; leur indifférence les enfonce plus profond encore dans la
pauvreté ; entre eux, les maladies circulent aussi librement que les
cochons dans le jardin : et ainsi se poursuit la mutuelle reproduction, en
une régulière dégénérescence. »
L’écriture est à la
fois factuelle et lyrique. La description de Moundville, le bled le plus
proche, en est un bon exemple. C’est là que l’on se rend pour ses courses et
pour y passer son temps de loisirs.
L’hygiène
(ou plutôt son absence) est terrifiante, entre la difficulté à maintenir des
conditions de vie correctes et le manque d’éducation. Bien sûr, on s’en
doutait, tout comme du reste. Mais ce qui rend les propos d’Agee prenants vient de la capacité de l’auteur à nous plonger dans ces vies sans issue, cela
grâce à l’observation mêlée à l’analyse mais aussi à la compassion mêlée
d’indignation.
Un autre
point fort de la narration est qu’Agee ne cherche pas à présenter ces gens
comme des anges, bien au contraire, et c’est appréciable car tout
sentimentalisme aurait déprécié la valeur de son travail. Il ne s’agit pas de
faire pleurer dans les chaumières mais d’appeler à un réveil des consciences.
Le texte
principal est complété par un article dédié aux Noirs car il faut bien
comprendre qu’aussi terrible soit la vie des Tingle, Fields et Burroughs,
celles des Noirs est pire.
Ce court
texte est marquant, essentiel aussi. Il permet de prendre en considération une
situation sans se voiler la face, sans en rajouter non plus. Transposée à notre
époque, une telle présentation devrait nous faire réagir, mais en sommes-nous
encore capables ?