Éloge de l’animal – Michel de Montaigne

Eloge animal - Michel Montaigne
Éloge de l’animal – Michel de Montaigne
L’Herne, 2009, 92 pages


Ce texte est extrait du second volume des Essais. On y découvre un philosophe qui sait se décentrer et apprécier la valeur de vies différentes de la sienne à l’opposé d’un Descartes pour qui les animaux non humains n’étaient que des mécaniques incapables d’émotions.
Lorsqu’on se penche sur cette question, « il faut se dépendre de soi, de ses normes, de ses perspectives, il faut rabaisser notre folle vanité pour retrouver notre rang dans l’échelle des êtres. » (préface de François L’Yvonnet) Sans cela, notre vision du monde est spéciste (tout comme on peut être raciste ou sexiste).

Montaigne est un type formidable !
Il souligne combien les humains, par vanité et présomption, se sont attribués la qualité d’êtres supérieurs alors que rien ne le justifie dans les faits.

« Par où il appert que ce n’est par vrai discours, mais par une fierté folle et opiniâtreté, que nous nous préférons aux autres animaux, et nous séquestrons de leur condition et société. »


Il décrit les capacités des animaux et les confronte à nos jugements hâtifs. Par exemple, nous considérons que le langage est la marque de notre supériorité, la capacité à véhiculer une pensée. Or les animaux non humains communiquent entre eux, voire entre espèces ; c’est nous qui ne les comprenons pas : « Par cette même raison, elles nous peuvent estimer bêtes, comme nous les estimons. » Le parler, que nous portons aux nues (pour ce que disent certains, on pourrait se douter que ce n’est pas l’expression d’une quelconque intelligence), n’est pas nécessaire ; on peut se faire comprendre autrement et cet « autrement » n’est pas inférieur au langage, il est différent.
Dans le même ordre d’idées, Montaigne rappelle que les étrangers, ceux qui vivent dans des contrées lointaines, étaient traités de sauvages, de brutes, parce que « nous [n’en] n’entendions aucunement le langage, et que leur façon au demeurant et leur contenance, et leurs vêtements, étaient du tout éloignés des nôtres… ». Ils ne comprenaient pas le français ? C’est qu’ils étaient donc stupides et idiots. Et Montaigne de conclure : « Tout ce qui nous semble étrange, nous le condamnons, et ce que nous n’entendons pas. Il nous advient ainsi au jugement que nous faisons des bêtes. »
                                       

L’homme supérieur parce qu’il porte des vêtements ?
« … quand j’imagine l’homme tout nu… ses tares, sa subjection naturelle, et ses imperfections, je trouve que nous avons eu plus de raison que nul autre animal, de nous couvrir. »
Et que dire de la guerre si ce n’est qu’elle est surtout un témoignage de notre bêtise : « …il semble qu’elle n’a pas beaucoup de quoi se faire désirer aux bêtes qui ne l’ont pas. » 


Le philosophe s’attache, par de nombreux exemples, à démontrer le génie des animaux et leur sensibilité, le fait qu’ils ont des sentiments, des goûts, des préférences. Cela les rapprochent de nous et les distinguent des végétaux.
Au fond, peut-être que chacun s’en rend compte mais que pour préserver l’idée de notre supériorité, nous sentons-nous obligés de rabaisser les autres espèces.
Montaigne évoque notamment l’art et l’habilité des animaux qui dépassent nos capacités dans divers domaines et de conclure ironiquement : « … leur stupidité brutale surpasse en toutes commodités, tout ce que peut notre divine intelligence. »



Bien que d’un abord parfois difficile, notamment du fait du français utilisé, ce bref essai est très agréable à lire. Surtout, cela fait plaisir de constater qu’un philosophe de premier plan avait compris, grâce à un mélange de sensibilité et de logique, que les animaux non humains ne méritent pas notre mépris et qu’il s’était donné pour tâche de les défendre.